Ocean Eleven, Rain Man, Las Vegas 21… Tous ces films racontent l’histoire d’arnaqueurs qui ont réussi à tricher au casino. Mais pour Richard Marcus, son histoire n’est pas un film, mais une réalité. Retraçons ensemble le parcours d’un escroc qui, grâce à son habileté et son ingéniosité a réussi à voler plus de 15 millions de $, sans jamais se faire prendre.
Nous vous expliquerons sa technique de prédilection : le Savannah, et comment il a réussi à déjouer les systèmes de sécurité les plus sophistiqués. Captivante, l’histoire de Richard Marcus semble tout droit sorti d’un film de Hollywood, pourtant, elle est bien réelle.
Qui est Richard Marcus ?
Né en 1955 dans le New-Jersey, la passion du jeu, Marcus l’a depuis qu’il est tout petit. À 10 ans déjà, Marcus joue avec des élèves de son école, sauf qu’au lieu de parier des vrais billets, Marcus et ses amis parient des cartes de Baseball, des cartes à collectionner particulièrement populaires dans les années 60. À force de jouer, Marcus se fait rapidement un nom dans son école comme étant le garçon avec la plus grande collection : il gagne au jeu pas moins de 20 boîtes de chaussures remplies à ras bord de cartes.
L’amour du jeu… et de l’arnaque
À 14 ans, fini les paris à base de cartes de baseball, Marcus passe aux choses sérieuses : chaque moment qu’il a de libre, il le passe à jouer au poker avec les jeunes de sa ville. Sauf qu’à 14 ans, il est difficile d’avoir assez d’argent pour continuer à jouer tous les jours. Naturellement doué pour les arnaques, il décide donc de mettre au point un plan qui lui permettra de se faire un bankroll. Cette arnaque, Marcus ne l’invente pas lui-même, un film la lui apprend :
– Dans ce film, un garçon achète un hot-dog à 60 centimes avec un billet de 20$, le caissier lui rend alors la monnaie. Juste derrière le garçon, une jeune fille, toute innocente, achète aussi un hot-dog à 60 centimes, mais cette fois-ci, paie avec un billet de 1$. Lorsque le caissier essaie de lui rendre la monnaie, la jeune fille s’énerve : « Je vous ai donné un billet de 20$, vous essayez de m’arnaquer ? ». Le caissier jure alors que la jeune fille lui a donné un billet de 1$ et non de 20$. La fille lui répond alors « Je peux prouver que je vous ai donné un billet de 20$ parce que c’était le cadeau d’anniversaire de mon grand-père, il a même dessiné un petit cœur dessus ». Le caissier regarde alors le dessus de sa caisse et effectivement, il y a un billet de 20$ avec un cœur dessiné dessus. S’excusant, il rend à la jeune fille la monnaie de son billet. La jeune fille était le complice du garçon, et avec cette petite arnaque, ils viennent de se faire 20$.
Avec son ami Paul (fils de mafieux), Marcus se rend à New-York pour voir si l’arnaque fonctionne réellement. À leur grande surprise, elle marche à chaque reprise. S’ensuit une période pendant laquelle les deux amis passent leur journée à New-York, empochant jusqu’à 500$ par jour en utilisant cette arnaque dans des milliers de magasins.
Dans ce reportage, Marcus parle brièvement de sa jeunesse, et de sa capacité à baratiner et arnaquer sans effort.
Les années passent et Marcus continue les arnaques : l’arnaque du faux anneau, l’arnaque aux voitures, triche au poker… Il amasse un petit pactole qu’il finit toujours par perdre en allant parier à droite et à gauche. À 17 ans, il découvre pour la première fois les courses de paris hippiques, une passion qui le consume.
Un soir, alors qu’il parie aux courses hippiques, il mise au hasard sur trois numéros différents. La chance lui sourit et les trois numéros sont vainqueurs pour un gain total de 20.000$. Sauf qu’à 17 ans, impossible pour lui de récupérer une telle somme, car il n’est pas majeur. Roi de la magouille, Marcus promet 10% des gains à un garde qu’il connait bien, le garde accepte, Marcus peut donc récupérer son gain. Avec cet argent, Marcus s’achète une mustang et continue de parier, encore et toujours…
Las Vegas
La vie continue pour Marcus, et quelques semaines avant ses 21 ans, en 1976, il décide de rouler avec sa Mustang jusqu’à Vegas. Dans un sac, plus de 20.000$ sont posés sur le siège passager. Il les a gagnés aux courses hippiques après un pari particulièrement risqué. Marcus n’a alors jamais posé les pieds dans un vrai casino et décide de commencer en pompe en s’offrant une chambre à 800$ à l’hôtel Riviera. Ne perdant pas une minute, il se dirige le soir même au casino et commence à jouer au Baccarat, son nouveau jeu de prédilection. En quelques heures, il transforme ses 20.000$ en 50.000$, puis en 80.000$ et enfin en 100.000$. Marcus vit comme un roi, le casino lui offre une suite de luxe, le caviar et le champagne, l’invitant même à rejoindre des fêtes privées. Mais la chance de Marcus ne va pas durer.
Le jour de ses 21 ans, pensant qu’il allait finir millionnaire d’ici la fin de la soirée, il décide d’aller jouer de nouveau au Baccarat. Marcus perd une fois, puis une deuxième fois. Le cauchemar ne fait que commencer. À la fin de la soirée, au lieu du million espéré, Marcus perd l’intégralité de ses 100.000$ et se fait éjecter de sa suite. Il vend alors sa Mustang, dans l’espoir de se refaire et retourne au casino. Marcus perd à nouveau, encore et encore. Il passera la première nuit de ses 21 ans à dormir sous un pont avec d’autres joueurs. Il ne lui reste plus que son sac, qu’il utilise comme coussin. Quelques jours auparavant, le sac désormais vide était plein de liasses de billets. Il ne reste à Marcus que sa brosse à dents et du dentifrice.
Les débuts de la triche
Après quelques semaines à dormir sous un pont, à manger dans les hôtels à la sauvette et à voler dans les magasins, Richard Marcus se blesse lors d’une altercation avec un drogué. Cette blessure lui laissera une cicatrice autant physique que mental. Suite à cet incident, il décide de reprendre sa vie en main et de trouver un travail.
Ne connaissant que le jeu depuis son enfance, il décide de devenir croupier. Premier problème : l’école pour devenir croupier coûte 350$, somme que Marcus ne possède pas, il ne se laisse pourtant pas décourager et décide d’y aller au bluff. Un matin il se place avec les autres élèves dans une salle de cours de l’International Dealers School et se fait passer pour un étudiant, il y apprend la roulette, le Blackjack, et le Craps. Marcus, bon en math, arrive à calculer rapidement les gains, et en seulement quelques jours, il apprend à mélanger les cartes, à bien manier les jetons ou encore les techniques pour être un bon croupier. Confiant, il décide de postuler dans les casinos du Strip. Recevant refus sur refus, Marcus vole un pantalon noir et une chemise blanche pour faire bonne impression. Pari gagné, il trouve un poste de croupier au Four Queens, un casino miteux, mais qui le paie assez pour ne pas vivre à la rue.
Les premiers mois, Marcus travaille pendant le « Graveyard Shift » de minuit à 8h du matin. Il s’y fait la main, prend ses habitudes et met un peu d’argent de côté. Sur de ses capacités de croupier, il est promu et travaille maintenant le soir de 18h à minuit. C’est là qu’il y fera la rencontre d’un homme qui changera sa vie. Joe Classon, tricheur professionnel, s’assoit un soir à la table de Marcus. Pendant quelques heures il joue, observant avec attention les mouvements experts de Marcus. Impressionné, Joe lui dit de but en blanc qu’il aimerait le recruter dans son équipe de tricheur. Marcus lui demande pourquoi lui, Joe lui répond alors « Tu es le seul qui ne vole pas de jetons au casino et vu comment tu mélanges tes cartes, je pense que tu as du potentiel ». Conquis, Marcus accepte.
Durant quelques semaines, Joe apprend à Marcus à toutes les techniques de triche qu’il connaît. Habile de ses mains et habitué à manipuler cartes et jetons, Marcus apprend vite. Il rejoint officiellement l’équipe. Ainsi commence sa longue carrière de tricheur.
La grande arnaque
Les prochaines années, Marcus les passe avec Joe Classon et son équipe à parcourir toutes les salles de jeux de Las Vegas. Bien rodée, leur technique semble infaillible. Très connu des casinos, mais difficile à repérer, le « Pastposting » (Prise de Paris Retardée) est une technique qui consiste à échanger des jetons APRÈS avoir gagné pour augmenter le gain de la mise. Triche particulièrement simple à la roulette (en partie due à son bon taux de redistribution), cette technique nécessite tout de même une certaine organisation et coordination :
- Tout d’abord, le Mécanicien s’occupe de poser un petit pari : 3 jetons rouges de 50$. S’il perd, le Mécanicien laisse le croupier prendre la mise.
- S’il gagne, le Mécanicien doit rapidement changer les deux jetons rouges du dessous de la pile par deux jetons noirs de 5000$, laissant un jeton rouge de 50$ sur le dessus pour les dissimuler. Après l’échange, le Mécanicien s’écarte de la table pour faire place à un autre complice, le Collecteur qui a le rôle de récupérer la mise changée.
- Pour brouiller les pistes, le Collecteur va dévoiler une pile de jetons de noir 5000$ qu’il cachait sous son bras. Cette pile de jeton, le Collecteur l’utilise comme stratagème psychologique pour faire croire au croupier que c’est un gros joueur. Le but étant de faire penser au croupier « Pourquoi un joueur ayant 50.000$ sur la table ne parierait que 150$ ? », évitant ainsi de remettre en question le changement des deux jetons.
- Finalement, lorsque le croupier va pour payer le gain, le Collecteur lui touche la main pour le déstabiliser. Le croupier n’étant jamais touché lors d’un jeu (règle d’or au casino), ce choc l’embrouille encore plus. Le Collecteur lui explique alors qu’il ne lui a pas donné le bon gain, dévoilant alors les jetons échangés par le Mécanicien. Le croupier perturbé par le contact physique et le changement de joueur, voit la pile de jetons devant le Collecteur, pense qu’il a tout simplement mal calculé et ajuste le gain.
Pour Marcus, la sensation de camaraderie procurée par son équipe est plus agréable que celle de gagner de l’argent. Il se sent à l’aise, comme s’il avait enfin trouvé ce qu’il voulait faire dans la vie : tricher avec ses amis. Tous les week-end, nos tricheurs professionnels empochent des centaines de milliers de $ en trichant à la roulette avec le Pastposting. Sauf que cette technique marche si bien que Marcus et son équipe commence à entrer dans le radar des casinos. Rapidement la pression monte et ils décident de quitter Las Vegas.
10 ans, c’est le nombre d’années pendant lesquelles Marcus, Joe et son équipe parcourent les plus grands casinos du monde, trichant à la roulette, au BlackJack et au Craps. Amassant plus de 5 millions de $ lors de leur aventure, rien ne semble les arrêter. Mais après ces 10 ans, Joe Classon prend sa retraite pour de bon, laissant Richard Marcus à la tête de l’équipe. Un autre chapitre de la vie de tricheur de Marcus commence alors.
Sa technique de prédilection : Le Savannah
Avec autant d’expériences dans la triche et l’arnaque, Richard Marcus commence à développer ses propres techniques. Pour lui, même si le Pastposting est une bonne technique, elle demande d’avoir une équipe de plusieurs personnes pour qu’elle soit particulièrement efficace. Marcus se met alors à réfléchir à des moyens de tricher, mais seul. De cette manière, il serait possible de gagner plus, car plusieurs joueurs pourraient tricher sur plusieurs tables différentes en même temps.
C’est ainsi que Marcus invente sa technique de prédilection : le Savannah, nommé après une strip-teaseuse qu’il connaît bien. Cette technique, Marcus l’invente en reprenant l’idée de base du Pastposting, mais en l’inversant : au lieu de changer les jetons lorsqu’il gagne, Marcus les change lorsqu’il perd. L’avantage de cette technique est qu’il peut la faire seul, car dans le cas où il se fait prendre en changeant les jetons, il peut tout simplement dire qu’il est ivre et qu’il s’est trompé. Dans le pire des cas, il doit simplement partir du casino. Fébrile, Marcus teste sa théorie sur son équipe :
Il pose sur le tapis de jeu de roulette, trois jetons : deux de 500$ et un de 5$. Il perd et subtilement, change les deux jetons de 500$ par deux jetons de 5$. A la roulette, la distance entre le croupier et le joueur est assez grande, due au fait que le tapis de jeu se trouve en dessous de la roulette. Cette distance lui permet de mieux masquer son changement de jeton et d’embrouiller le croupier. De plus, le croupier est de base moins attentif sur un pari perdu, car pourquoi un joueur tricherait lorsqu’il perd ? Là est le génie du Savannah.
Marcus est euphorique, la technique fonctionne sur son équipe, ils n’y voient que du feu. Il part donc écumer les casinos, utilise sa technique, et gagne, beaucoup. Richard Marcus vient d’inventer la meilleure technique de triche en solo. Et si cette technique est si brillante, c’est parce qu’elle est si simple.
Avec les années 90, les casinos sont maintenant équipés de caméras de sécurité. Il est devenu plus difficile de tricher, car certaines techniques sont maintenant rapidement détectées. Et avec preuve à l’appui, le risque de finir prison devient de plus en plus réel. Mais Marcus ne se démoralise pas et à plusieurs reprises, il met sa technique à jour. Pour éviter que les caméras ne voient la couleur des jetons du dessous, il positionne légèrement vers l’avant le jeton du dessus de 5$ de manière à dissimuler les deux jetons de 500$. Le subterfuge fonctionne à la perfection. Pour fêter ça, Marcus dévalise un casino et décide le soir même de retourner à Las Vegas.
Les gérants de casino, ne pouvant bannir Marcus sans preuves, perdent patience. Pendant des années, Marcus se moque d’eux en gagnant des centaines de milliers de $ avec sa technique. Il se fait fouiller et questionner : « On sait que tu utilises une machine électronique pour faire tomber la boule où tu veux », mais il ne dit rien. C’est bien là le génie de Marcus, tous pensaient à tort qu’il utilisait une méthode sophistiquée et complexe, alors qu’il était simplement habile de ses mains. Et son caractère jovial et agréable faisait que les gens lui faisaient rapidement confiance, baissant alors leurs gardes.
25 ans après
La carrière de tricheur de Richard Marcus prendra fin le 31 décembre 1999 lorsqu’il joue pour la dernière fois au Golden Nugget, un casino du Strip. Marcus utilise le Savannah et gagne 10.000$. Mais lorsqu’il va pour se faire payer, le gérant du casino lui tape sur l’épaule et lui dit : « Je suis le président du Golden Nugget, je vous informe qu’on ne vous paiera pas ce gain. ». Marcus demande pourquoi, son pari était légal et les caméras peuvent le prouver. Le président lui rétorque que s’il a un problème, il peut appeler la police ou la commission de jeu du Nevada. Marcus prend peur, ne voulant pas faire d’histoire, il quitte le casino sans ses gains. Cette altercation lui fait l’effet d’une douche froide : « Il serait peut-être temps d’arrêter » pense-t’il.
Il apprendra plus tard que le FBI et le conseil de commission de jeu de Las Vegas le suivaient de près. Il décide de tout arrêter au sommet de son art, car pour Marcus, à quoi bon être riche s’il doit finir ses jours en prison. Il quitte Vegas et part sur la route, riche en argent, et en histoire.
Ces histoires, Richard Marcus les racontera dans plusieurs livres qu’il va écrire dans les années qui suivent. Son premier : « American Roulette: How I Turned the Odds Upside Down« , retrâce sa vie et ses techniques pour tricher au casino. Il en écrira d’autres : « The Great Casino Heist, « Dirty Poker », « Identity Theft Inc », tous parlant de sa vie, de ses arnaques et des histoires folles qu’il a vécues autour du monde.
Devenu célèbre dans le milieu, Richard Marcus se fait inviter à une conférence sur la protection contre la triche dans les casinos. Son discours choque les patrons de casinos, qui n’avaient alors jusque là aucune idée que ces techniques de triche existaient. Suite à cette conférence, il se fait embaucher en tant que conseiller pour sensibiliser et entraîner les croupiers à reconnaître les tricheurs.
Ironie du sort pour les casinos qui sont désormais protégés par la même personne qui leur a volé des millions durant plus de 25 ans. Et lorsque l’on demande à Richard Marcus pourquoi il a triché pendant toutes ces années, il répond avec un sourire « Je suis un mauvais perdant ».